Ils s'appellent F. et C.
Par souci de confidentialité, les prénoms ont été changés.
Neuf années ont passé depuis l’arrivée de Salina., notre fille adoptive. Il me semble que nous avons assez de recul à présent pour raconter cette adoption qui a changé notre vie et celle de nos deux aînés. Nous sommes fiers aujourd’hui du chemin parcouru, fiers d’avoir mené ce projet à terme malgré un parcours semé d’embûches, d’attentes et de craintes. Et quand nous regardons cette grande fille qu’elle est devenue, nous pouvons affirmer que cette adoption est réussie. Réussie pour elle, pour nous.
Un désir profond
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours su qu’un jour j’adopterais. Enfant, l’arrivée dans la famille de mon cousin adopté avait provoqué le déclic. J’avais fait part de ce projet à mon époux dès le début de notre histoire. Au fil des années, l’idée a fait son chemin et après avoir eu deux beaux enfants, nous nous sommes lancés dans cette fabuleuse aventure. Il nous a fallu tout d’abord demander l’agrément, au début de l’année 2013. Ensuite, il y a eu des réunions d’information, la constitution du dossier, les rencontres avec les assistantes sociales, les visites du domicile et de la chambre qui accueilleraient notre enfant. On nous posait de nombreuses questions, parfois tous ensemble, parfois individuellement. Il s’agissait de déterminer les motivations et les ressentis de chacun, ceux des parents que nous étions déjà, mais aussi ceux de nos enfants alors âgés de neuf et six ans. Au bout de longs mois, nous avons obtenu l’agrément assez facilement, ce qui n’en sera pas de même pour la suite. Nous vivions alors à l’île de La Réunion et les chances d’y adopter un enfant étaient très minces. Nous avions alors élargi nos recherches jusqu’à l’île Maurice, puis Madagascar, et c’est de là qu'un beau matin, on nous a appelés :
– Il y a un bébé pour vous.
Une rencontre bouleversante
Les semaines suivantes furent plus intenses émotionnellement, nous étions occupés à préparer notre voyage et en contact régulier avec l’orphelinat. Enfin, un mois plus tard, nous nous sommes rendus à Madagascar, cette immense île toute proche de la nôtre, mais si différente. Nous avions fait le choix de ne partir qu’à deux, François et moi, laissant les enfants chez leurs grands-parents. Le voyage fut à la fois très émouvant et difficile. Nous nous sentions perdus au milieu de cette grande ville qu’est Tananarive et nous ne sortions que pour les démarches ou pour rendre visite à Salina. Durant nos trajets en taxi, nous traversions des quartiers très pauvres où s’amassaient d’innombrables cases en tôle, où déchets et saletés jonchaient le sol. Des enfants parfois très jeunes avec à peine de quoi se vêtir arpentaient les rues en quête d’un je-ne-sais-quoi. Notre petite Salina venait-elle de l’un de ces endroits ? Qu’avait-elle vécu ? Où était sa maman biologique ? Pourquoi avait-elle été abandonnée ? Dans ma tête, les questions fusaient.
[...]
Une attente pénible
Après ces trente minuscules minutes passées à ses côtés, nous avons dû la laisser. Heureusement, nous avons pu retourner la voir à plusieurs reprises durant les quatre jours à Madagascar qu’il nous restait. Mais le jour de notre retour chez nous, les au revoir furent déchirants. Nous n’avions qu’une hâte : retourner la chercher et prendre cet avion qui la ramènerait à la maison auprès de ses frère et sœur. Pour cela, il a fallu faire preuve de patience.
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En effet, peu après notre décision, le juge lança la procédure qui aura duré en tout et pour tout huit mois. Huit mois durant lesquels nous n’avons pas pu retourner la voir. Huit mois interminables.
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Nous voilà à préparer son retour : achats de vêtements et de couches, réservation des billets d’avion, demande de passeport et de visa. Le jour-J, l’ensemble des adultes de l’orphelinat ainsi que quelques enfants lui ont dit au revoir. Ces derniers avaient l’air d’être heureux pour elle, mais à moi, ils me faisaient de la peine. Trouveraient-ils un jour une famille ? Procéder aux dernières signatures fut une chose, mais passer la porte de l’orphelinat avec Salina et son petit sac dans nos bras en fut une autre : ça y est, nous étions ses parents, elle était notre fille et nous rentrions à la maison ! L’angoisse nous aura tenus jusqu’au bout, car c’est seulement quatre ou cinq heures avant de monter dans l’avion que nous avons pu récupérer le visa !
Un retour attendu
Le voyage dans l’avion a été très calme, Salina a beaucoup dormi pendant que nous nous remettions de nos émotions. Je me souviens que lorsqu’elle commençait à pleurer, il suffisait que nous la prenions dans nos bras pour qu’elle cesse. Après deux heures de vol, nous commencions à deviner à travers les nuages La Réunion, la maison n’était plus très loin ! À l’aéroport, j’étais toute fière de montrer le passeport de notre fille aux différents points de contrôle, les agents nous souriaient. À la vue de mes parents dans le hall d’arrivée, et encore plus à la vue de Maël et Soazic qui se tenaient près d’eux, j'ai été submergée par l’émotion. J’éprouvais à la fois le soulagement d’être revenus avec Salina, l’immense joie d’être tous réunis, et un amour inconditionnel envers François et nos enfants qui m’avaient tous suivie dans cette aventure.
La rencontre entre Salina et ses frère et soeur fut à la fois bouleversante et tellement simple, nous avions l’impression qu’ils se connaissaient déjà. Les trois premières semaines à la maison furent douces. Bien entendu, nuits courtes, biberons, couches, et autres joyeusetés — habitudes que nous avions laissées de côté depuis bien longtemps — ne se sont pas fait attendre ! Nos aînés participaient, jouaient et aimaient passer du temps avec leur petite sœur qui rayonnait. Elle a vite pris du poids et se montrait beaucoup plus active. Nous étions comblés.
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Grandir quand on a été adoptée
Les neuf années qui ont suivi ont vu Salina grandir et s’épanouir. Maël et Soazic, déjà très proches tous les deux ont naturellement laissé une place, une grande place, à leur petite sœur. Rires et cris emplissaient la maison d’un joyeux vacarme, tout comme les disputes de temps à autre, mais quels frères et sœurs ne se chamaillent pas ?
Salina s’est donc bien adaptée à la maison et à nous. Il est certain que son très jeune âge à son arrivée y est pour beaucoup : elle n’a pas de souvenirs de sa vie d’avant. Bien sûr, il lui arrive régulièrement de nous interroger à ce sujet, elle nous a également demandé si l’on possédait des photos de son passé. J’avoue que de voir qu’elle y pense autant me blesse parfois, même si je ressens tout son amour. Elle a tout simplement besoin de comprendre d’où elle vient, quelles sont ses racines, quelle est son histoire. Malheureusement, personne ne m’a donné de photo de sa maman biologique et nous n’avons que très peu d’éléments à lui apporter quant à la raison de son abandon. D’ailleurs, nous n’utilisons jamais ce terme : « abandon ». Trop violent. Parfois je me mets à la place de cette mère qui a dû laisser son enfant. Qu’a-t-elle enduré ? Était-elle trop jeune, lui a-t-on enlevé Salina ou n’en voulait-elle tout simplement pas ? D'ailleurs, je ne savais même pas si Salina était le prénom donné par l'orphelinat ou la maman biologique.
[...]
Certaines périodes ont été plus difficiles et il y en aura certainement d’autres. Nous nous sommes parfois disputées toutes les deux. Moi qui n’avais jamais connu cela avec Maël et Soazic, j’en étais perturbée et j’ai plusieurs fois culpabilisé. On m’a expliqué que parfois dans sa petite tête elle n’acceptait pas d’être adoptée et qu’elle pouvait donc avoir des réactions négatives vis-à-vis de moi qui me rendaient malheureuse, mais elle l’était sûrement aussi parfois, malheureuse. À plusieurs reprises, elle m’a demandé :
– Pourquoi Maël et Soazic sont sortis de ton ventre et moi non ?
– Tu étais dans une grande maison, expliquais-je, tu n’es pas sortie de mon ventre, mais tu étais dans mon cœur, c’est pareil, tu es comme les autres.
Je lui faisais alors un dessin avec mon cœur et je le divisais en trois :
– Voilà une partie pour toi, une partie pour Maël et une autre pour Soazic.
Parfois elle nous a provoqués, faisant de petites bêtises exprès. Nous avons vite compris qu’elle se comportait ainsi afin d’être sûre qu’on l’aimait toujours, et comme les autres. C’était sa façon à elle de se rassurer, sa façon à elle de voir si son papa et moi restions vraiment accrochés à elle, si nous tenions sincèrement à elle. Salina a aujourd’hui bien grandi. Elle n’a jamais caché son histoire à son entourage, mais n’en parle presque plus. La période de l’adolescence risque de voir ressurgir ses craintes et interrogations, mais nous serons présents et l’accompagnerons dans ces moments délicats.
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Ce sont trois grands et beaux enfants que nous voyons aujourd’hui, épanouis, proches, pleins de vie et de malice. Et c’est sûrement nous qui en sommes les plus heureux !