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Elle s'appelait Françoise

souvenir devoir de mémoire récit
Avant que sa mémoire ne vienne lui faire défaut, Françoise avait entrepris d'écrire les souvenirs qu’elle avait gardés de l'exode de 1940 avec sa famille. Son récit complet, ici.

Aucune modification n'a été apportée au récit de Françoise. Ce précieux récit a été transmis tel quel par son fils, qui a accepté de le partager ici.

Récit de l'exode de mai 1940 qui nous a conduits du Chesne dans les Ardennes à Thaumiers dans le Cher

Dimanche 12 mai, dimanche de Pentecôte : le Chesne

Depuis déjà deux jours, c'est un défilé ininterrompu de "réfugiés" qui traversent le village en passant devant notre maison située Place de la Mairie. Ils viennent essentiellement de Belgique et de la vallée de la Meuse, qui en voiture, qui en charrette à cheval lourdement chargée. Les attaques aériennes allemandes ayant déjà commencé, nous avions pour consigne de nous regrouper par quartier dans des caves et abris chaque fois que l'alerte retentissait. Une maison située dans la rue derrière chez nous, dite "rue des fumiers", habitée par de nombreux agriculteurs dont les étables jalonnent la rue en question a été sérieusement touchée la veille par une bombe incendiaire et de notre cour nous avions pu apercevoir les flammes qui sortaient par les trous des volets, une vision que je n'oublierai jamais; la prochaine fois, ce pourrait bien être notre tour: il nous faut donc nous résigner à quitter le Chesne. Maman prépare en toute hâte quelques valises, contenant le strict minimum par manque de place dans le coffre. Papa organise le convoi que nous allons former avec nos grands-parents Prévoteaux qui habitent le Chesne eux aussi, Papa, Maman, tous les six, ainsi que la tante Louise Launois, sœur de Papa, qui habite Mézières-Charleville et qui doit nous rejoindre dans la soirée, l'oncle René, son mari, tout comme l'oncle Luc, frère de Maman ayant été mobilisés.

La tante Louise arrive donc au Chesne en fin d'après-midi après avoir essuyé, en cours de route, une attaque aérienne dont elle est sortie miraculeusement indemne, ainsi que son petit chien "Black" qui est, en réalité, plus blanc que noir.

Seule la carrosserie se retrouve complètement criblée d'éclats d'obus. Dieu merci, le moteur n'a pas été endommagé et elle-même a eu le temps de sortir à toute vitesse de la voiture et de s'allonger dans le fossé comme nous le ferons bien des fois par la suite en pareilles circonstances. Mais quelle frayeur elle a dû avoir !

Lundi 13 mai, lundi de Pentecôte
Première étape : le Chesne – Suippes (60 km)

Nous prenons donc la route au petit matin en abandonnant notre maison et tout ce qu'elle contient, Diane, la chienne de chasse de Papa comprise, aux mains des soldats du régiment de Tirailleurs français, algériens et sénégalais cantonnés depuis septembre dernier dans les dépendances de notre maison, à l'autre bout du jardin, lesquelles donnent sur la fameuse "rue des fumiers". Nous nous répartissons dans les deux voitures avec, en tête, Papa conduisant la voiture de grand-père Prévoteaux, suivi de Jean au volant de notre propre voiture, une Chenard-Walker relativement récente, Papa ayant été bien inspiré, au vu des événements qui se profilaient à l'horizon, de lui apprendre à conduire durant les vacances de Pâques précédentes. Inutile d'ajouter qu'il n'avait pas eu le temps, entre deux, de passer son permis de conduire. Cela ne l'a pas empêché de nous conduire tout au long de ce qui allait être "un long périple" sans aucun accrochage dans des conditions particulièrement difficiles; il faut le souligner. Suit, en queue de peloton, la tante Louise avec sa voiture désormais pleine de trous mais chargée jusqu'au plafond, n'ayant gardé libre que le siège de devant à côté du chauffeur que Mimi, sa fidèle accompagnatrice, occupera d'un bout à l'autre du parcours.

Refusant d'obéir aux injonctions des autorités françaises qui dirigent systématiquement tous les réfugiés vers la route de Vouziers (Route départementale 977) déjà terriblement chargée, Papa prend la direction de Montgon et d'Attigny et tout le monde suit. Il connaît bien tous ces petits villages en dehors des grands axes qui font partie de sa clientèle. Il n'a qu'une idée en tête : rejoindre Mazagran en évitant Vouziers afin de passer par Suippes où habite notre tante Anne-Marie, femme de l'oncle Marcel, son plus jeune frère, onzième et dernier enfant de la famille Launois, qui, comme les autres oncles précédemment cités a été, lui aussi, mobilisé.

Je ne saurais dire avec certitude au bout de combien de kilomètres, Papa a aperçu tout à coup dans son rétroviseur un chien arrivant à sa hauteur : c'est notre "Diane" qui a réussi à s'échapper de la maison et nous a rattrapés. Elle paraît à bout et ses pattes sont en mauvais état à force d'avoir couru sur le macadam. Bien sûr, il nous est impossible de nous arrêter, étant donnée la cohue et d'autre part où trouverions-nous la place de la caser dans nos voitures déjà si chargées ? Très vite, nous la perdons de vue et nous avons le sentiment de l'abandonner, pour la deuxième fois, pauvre bête !

Nous poursuivons notre route mais ce n'est qu'en fin d'après-midi que nous arrivons à Suippes. Hélas, nous ne trouvons personne ; la maison est fermée, tous les volets sont clos. Papa obtient cependant quelques renseignements auprès des voisins plus ou moins proches qui n'ont pas encore quitté les lieux : la tante Anne-Marie aurait quitté le village avec ses parents originaires de Suippes et ses trois garçons : Jacques né en 1934, André en 1936 ou 1937 et Serge, le petit dernier tout juste âgé de quinze mois. Elle aurait l'intention de rejoindre un petit village du nom de Verdigny, situé à proximité de Sancerres, dans le département du Cher. Ses parents auraient-ils là-bas de la famille ou des amis susceptibles de les accueillir loin des combats ? Mystère ! Toujours est-il que je me souviens vaguement que nous nous sommes arrêtés là pour la nuit, car si la maison est fermée, le portail qui permet d'accéder à la cour des abattoirs qui jouxtent la maison est, quant à lui, ouvert. Nous décidons d'y garer nos voitures et passons notre première nuit sur place.

Mardi 14 mai
Deuxième étape : Suippes – Villenauxe, dans l'Aube en passant par Reims et Vertus (154 km)

Nous reprenons la route en nous dirigeant vers Reims et là, à deux pas de la gare SNCF, on nous dirige vers un centre d'accueil aménagé dans un grand baraquement à l'intention des réfugiés, dont nous sommes, et l'on nous offre une collation : quelle aubaine et comme c'est bon de manger et de boire quelque chose de chaud. Je m'y revois encore. Après quoi nous poursuivons notre périple en direction de Vertus : nous y arrivons en cours d'après-midi et il y a longtemps que la collation offerte à Reims est descendue dans les talons. Nous garons nos trois voitures l'une derrière l'autre le long du trottoir à proximité du centre-ville pour aller manger et boire un petit quelque chose dans un café. Maman qui avait voulu emporter une jolie fourrure, en l'occurrence "un renard", sans doute un cadeau reçu pour son dernier anniversaire et qui ne voulait pas le laisser dans la voiture, l'emporte sur son bras et le dépose à cheval sur le dossier de la chaise, une fois arrivée dans le café. Hélas, elle oublie de le reprendre en partant et ne s'en aperçoit que longtemps après. Quel dommage !

En traversant la place centrale bourrée de réfugiés afin de rejoindre les voitures, nous nous arrêtons quelques instants et tout à coup, une dame, sans doute émue de voir cette famille de onze personnes perdue dans la tourmente, s'approche de Papa et Maman et leur propose de mettre à notre disposition une maison inoccupée lui appartenant qui se trouve à Villenauxe, dans l'Aube à 60 kilomètres de là. Son mari a été mobilisé comme beaucoup d'autres et ils possèdent, entre autres, une maison à Vertus qu'elle habite. Papa et Maman, je crois bien, n'hésitent pas longtemps et la dame en question, dont j'ai malheureusement oublié le nom, monte à côté de Papa pour le guider; elle me prend sur ses genoux et nous voila partis...

Les 60 kilomètres qui séparent Vertus de Villenauxe sont assez vite parcourus car la route est beaucoup moins encombrée et nous avons le temps d'arriver et de nous installer avant la nuit, cependant que la dame reprend la route de Vertus dans une voiture à elle qui se trouvait dans le garage, au fond du jardin. Dormir dans un vrai lit, quelle chance !

Mercredi 15 mai – dimanche 09 juin : Villenauxe

Le lendemain 15 mai, Pierre fête son douzième anniversaire et nous mangeons, à cette occasion, sinon un gros gâteau, du moins un grand plat de fraises du jardin, préparées par la tante Louise. Il y a, en effet, dans le jardin, une assez longue plate-bande de fraisiers qui commencent à donner. Encore faut-il laisser aux fraises le temps de mûrir, ce que la tante se chargera de surveiller tous les jours, allant jusqu'à les compter pour éviter que nous, les enfants, ne soyons tentés de les manger sur place au fur et à mesure.

Après tant de tribulations, la vie redevient plus facile pour nous tous. Mais jusqu'à quand ? Car, sans le savoir, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

La première préoccupation de Papa et Maman est d'inscrire Jean au baccalauréat, puisqu'il n'avait pas pu, vu les événements, le passer au lycée Chanzy de Charleville où il était interne. Ici, le lycée le plus proche est celui de Provins en Seine et Marne à environ 20 kilomètres de Villenauxe. Pour nous les plus jeunes, c'est-à-dire Pierre et Michel, qu'on appelle communément "les gamins" car ils ont à peine seize mois d'écart, et moi-même, nous prenons très vite le chemin de l'école communale. Villenauxe est un bourg agréable et nous nous intégrons très vite. Mimi qui, normalement, aurait dû passer le brevet à Vouziers où elle était pensionnaire et Thérèse, arrivée au bout de l'école primaire, restent à la maison auprès de Maman, de nos grands-parents et de la tante Louise ; Jean, quant à lui, se plonge dans les quelques bouquins qu'il a pu emporter pour faire ses révisions.

Une petite anecdote au passage: Maman qui a appris qu'il existe un patronage paroissial le jeudi après-midi dans un grand parc au bout de notre rue m'y inscrit, pensant que ce serait bon de me faire connaître des filles de mon âge. Hélas, la première fois qu'elle m'y emmène, je m'y ennuie tellement qu'au bout d'un moment je me rapproche du portail, prête à m'échapper à la première occasion. Malheureusement, la dame patronnesse m'aperçoit et me tirant par le bras, m'oblige à rejoindre les autres filles peu enclines à intégrer dans leurs jeux l'étrangère que je suis. Je crois que l'expérience s'arrêtera là.

Les jours s'écoulent paisiblement, du moins pour nous les jeunes qui avons retrouvé le chemin de l'école, mais ils sont sans doute vécus avec plus d'angoisse pour nos parents et grands-parents qui doivent bien se demander comment les choses vont évoluer et de quoi demain sera fait. Arrive alors le jour où Papa doit emmener Jean au lycée de Provins pour passer les épreuves du baccalauréat prévues sur deux jours lesquels sont interrompus à plusieurs reprises par des alertes obligeant les candidats et tout le personnel d'encadrement à descendre en toute hâte dans les abris. Je suppose que Jean doit être l'un des rares candidats à avoir déjà vécu pareille situation avec la peur panique qu'elle engendre et qui vous fait perdre tous vos moyens: on ne peut pas subir de plus terribles conditions d'examen. A la fin de la deuxième journée, Papa accepte que je l'accompagne pour aller rechercher Jean et je me revois très bien debout près de l'aile droite de la voiture garée de l'autre côté de la rue, face à la grille du lycée, guettant sa sortie. Quelques semaines plus tard, une fois arrivés dans le Cher, terme de notre long périple, nous apprenons qu'il n'a pas été reçu et nous sommes trous très tristes pour lui, car au lycée Chanzy de Charleville où il était interne, il était vraiment un brillant élève et remportait généralement à la fin de chaque année scolaire de nombreux prix d'excellence.

Mais les choses se gâtent à nouveau très, très vite: avec l'avancée des troupes allemandes et le survol de plus en plus fréquent de l'aviation et les bombardements qui s'ensuivent, nous voilà à nouveau contraints de plier bagages en laissant cette maison si accueillante où nous avons passé plus de trois semaines.

Lundi 10 juin
Troisième étape : Villenauxe – Dyé dans l'Yonne (98 km)

En quittant Villenauxe, Papa, fidèle à sa technique précédente qui ne nous a pas trop mal réussi, nous fait emprunter des petites routes moins encombrées que les grands axes en direction du sud, tout en prévoyant de faire un crochet pour aller voir la tante de Suippes à Verdigny. C'est ainsi que nous arrivons en fin d'après-midi dans un tout petit village en pleine campagne où nous recevons un accueil chaleureux: répartis tous les onze dans plusieurs fermes de la commune, on nous offre à la fois le dîner et le gîte pour la nuit, avec, sans doute, le petit-déjeuner le lendemain matin.

Mardi 11 juin
Quatrième étape : Dyé – Entrains dans la Nièvre (90 km)

Mercredi 12 juin – samedi 15 juin: Entrains

Encore une journée complète en voiture ; bientôt le manque d'essence commence à se faire sentir pour les trois voitures qui composent notre convoi. Papa, ayant repéré sur la carte un assez gros bourg du nom d'Entrains, décide de s'y arrêter pour y refaire les pleins. Hélas, trois fois hélas, les pompes de l'unique garage sont désespérément vides et le garagiste ne peut nous dire quand il sera réapprovisionné. Nous voici donc bloqués dans ce patelin en attendant des jours meilleurs. Heureusement, à proximité de la place centrale, se trouve un immense hangar non fermé sous lequel sont déjà garés d'autres réfugiés tombés en panne comme nous. Nous allons devoir attendre 5 jours complets avant que le garagiste soit réapprovisionné. Ouf ! Une fois de plus, nous dormons dans les voitures et nous nous contentons de sandwiches pour toute nourriture.

Dimanche 16 juin
Cinquième étape : Entrains – Verdigny dans le Cher (51 km)

Enfin nous pouvons rouler à nouveau et quitter Entrains après tous ces jours d'attente et d'ennui. Pour nos grands-parents âgés et en mauvaise santé et surtout pour grand-mère qui est diabétique et a des problèmes de vue, cela n'a pas dû être drôle mais ils en ont vu d'autres puisqu'ils ont déjà vécu deux autres exodes, le premier lors de la guerre de 1870, le second au début de la guerre 14-18.

Pour rejoindre Verdigny, il nous faut traverser la Loire, ce que nous faisons à Cosne en milieu d'après-midi. Il ne nous reste plus qu'une douzaine de kilomètres avant d'atteindre Verdigny. Les retrouvailles avec la tante Anne-Marie, ses 3 enfants et ses parents sont très joyeuses. Nous nous racontons nos propres péripéties et nos propres itinéraires. Je ne me souviens plus bien des deux aînés, Jacques et André, mais je revois très bien Serge, le petit dernier tout juste âgé de 15 mois, se trémoussant dans sa chaise haute comme s'il voulait participer à la fête, lui aussi. Ils logent dans deux pièces : une grande cuisine-salle à manger et une chambre. Nous dînons tous ensemble autour de la grande table, ce qui fait 16 personnes en tout sans compter le petit dernier.

Pour nous les Ardennais, la table va également servir de lit cette nuit-là : il suffit de croiser les bras, de les appuyer sur la table et de poser la tête dessus : "à la guerre comme à la guerre", c'est vraiment le cas de le dire. Si nous n'avons pas vraiment dormi, du moins nous sommes-nous reposés.

Lundi 17 juin
Sixième et dernière étape : Verdigny – Thaumiers dans le Cher en passant par Dun-sur-Auron (66 km)

Rassuré de voir que toute la famille de Suippes est en bonne santé, Papa décide de reprendre la route pour s'enfoncer encore un peu plus loin vers le sud. Juste au moment de quitter la famille, la tante Anne-Marie entend dire à la radio que le pont de Cosne a été détruit par les bombardiers allemands la veille au soir, tout juste une demi-heure après notre passage: nous l'avons échappé belle !

C'est en fin de matinée que nous traversons Dun-sur-Auron. Nous faisons une petite pause à proximité d'une épicerie afin d'y faire quelques courses et alors que Maman envoie Pierre d'abord et Michel ensuite acheter chacun un paquet de nouilles (au cas où...), Michel revient tout penaud à la voiture, la vendeuse l'ayant renvoyé en disant qu'elle l'avait déjà servi: la vraie cause de tout cela vient du fait que les gamins, comme on les appelle, portent les mêmes vêtements comme de vrais jumeaux.

C'est pendant ce temps-là que Papa, étant sorti de la voiture sur le trottoir, entend à la radio par une fenêtre grande ouverte l'allocution du maréchal Pétain à toute la population française, dans laquelle il déclare avoir pris la décision de demander l'armistice.

La décision de Papa est alors vite prise : ce n'est pas la peine, dans ces conditions, de rouler plus loin. Nous faisons encore une dizaine de kilomètres à travers la campagne, cherchant où nous pourrions nous arrêter. En fin d'après-midi, nous découvrons une ferme où nous passons la nuit sur la paille dans l'étable au milieu des vaches, des cochons, des poules et des canards.

Mardi 18 juin – fin septembre : Thaumiers – maison forestière de Fontresson

Cette ferme fait partie d'un ensemble d'autres fermes délimitant un grand domaine avec un petit château au centre. Dès le lendemain, les fermiers informent la comtesse de Bonneval qui, très vite propose de nous loger dans une maison forestière, dite "de Fontresson". Ce n'est pas le grand luxe, mais au moins est-ce un toit qui va nous abriter tout l'été. La mairie du village le plus proche, Thaumiers, ainsi que celles des hameaux voisins se mobilisent pour nous fournir l'essentiel: cuisinière, table, chaises, sommiers métalliques. La Thé et moi allons chercher à la mairie du hameau le plus proche des housses en toile qui, une fois bourrées de paille, sont destinées à remplacer les matelas. Bref, nous nous organisons et comme il y a plusieurs agriculteurs tout autour, nous allons pouvoir nous nourrir avec des produits fermiers. Papa et Maman se mettent à cultiver un petit bout de jardin. De son côté, Jean va passer tout l'été à travailler dans les champs de la ferme qui nous a hébergés la première nuit ; en guise de salaire, il nous rapporte tous les soirs un plein panier de légumes de toutes sortes, ainsi que des œufs. Le fermier lui ayant prêté un vieux vélo pour se rendre de Fontresson à la ferme des "Issards", notre plus grand plaisir à nous cinq, c'est d'aller tous les soirs à sa rencontre jusqu'à la grille en faisant le petit train, avec Mimi en tête et moi à la queue : insouciance de la jeunesse ! Dans les bois qui nous entourent où les lapins et les lièvres sont nombreux, Grand-père et Papa ont alors une idée lumineuse : poser des collets et ça marche très bien. En revanche, une fois pris, ils n'arrivent pas à les garder dans l'enclos qu'ils ont construit pour eux, car dans la nuit, les lapins très malins creusent des terriers sous le treillage et prennent la poudre d'escampette. Au bout de plusieurs essais infructueux, l'idée de manger du lapin ou du lièvre est alors abandonnée.

Octobre 1940 – mars 1942: Thaumiers – maison au cœur du village

Mais tout a une fin et il faut songer à la rentrée scolaire. La comtesse, encore elle, se charge de nous trouver un logement dans le village de Thaumiers : une maison inoccupée située à deux pas de la mairie et de la place du village et proche de l'école des garçons et des filles. Nouvelle organisation dans un espace un peu étroit pour nous dix, la tante Louise ayant trouvé à se loger un peu plus loin au-dessus de la maison du bourrelier. Nous réservons à nos grands-parents la chambre au bout de la maison, qui donne directement sur la place, afin qu'ils se sentent un peu plus chez eux et plus libres d'aller et venir.

Papa et Maman inscrivent Jean au lycée de Saint-Amand-Monrond à 18 km de Thaumiers. Avec la pénurie d'essence plus que jamais d'actualité, il n'est pas question de s'y rendre en voiture, mais il y a le train qui passe à 4 ou 5 km de là et qui y conduit. C'est précisément dans ce village appelé le Pondy que Thérèse et Pierre vont prendre des cours de latin et d'anglais chez une dame originaire de la Meuse, réfugiée comme nous, afin qu'ils ne prennent pas trop de retard dans leurs études. Quant à Mimi, elle va être embauchée à la mairie pour y effectuer des menus travaux d'écriture, de classement etc. Et nous, les plus jeunes, nous allons, une fois de plus, faire l'expérience d'une nouvelle école.

Mars 1942 : retour dans les Ardennes

Ce n'est qu'en mars 1942 que nous obtenons, enfin !, le fameux laissez-passer nous autorisant à rentrer dans les Ardennes, puisqu'à Thaumiers nous sommes en zone libre alors que les Ardennes se trouvent, au contraire, en zone occupée. C'est par le train que nous faisons le voyage, avec les voitures sur les plates-formes et ce jusqu'à Vouziers, une vieille cousine de Maman nous ayant proposé d'habiter l'une de ses deux maisons des Alleux encore debout. Quant à nos grands-parents, on leur a trouvé au Chesne deux pièces dans une maison non détruite alors que la nôtre n'est plus qu'un tas de pierres. Jean ne nous rejoint aux Alleux que fin juin, au terme de l'année scolaire, après avoir réussi le bac avec mention en octobre 1941 et le concours d'entrée à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort en juin 1942 où il est classé 12ème sur plus de 200 candidats, un réel exploit après des études aussi tourmentées.

C'est précisément après avoir passé les épreuves de ce concours à son passage à Paris en remontant de St Amand-Monrond que Thérèse, Pierre et moi allons à sa rencontre à travers champs jusqu'à la route de Vouziers pour l'attendre à sa descente de l'autobus. Quelle joie de se trouver, enfin, tous réunis, sains et saufs après ces deux dernières années si difficiles à vivre.

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