Elle s'appelle Lisa
L'errance diagnostique
Mes symptômes étaient visibles depuis la naissance, mes pieds étaient alors déjà creux et tournés vers l’intérieur. Je n’ai marché que vers l’âge de dix-huit mois, très péniblement. Je chutais quotidiennement, j’étais couverte de bandages. « C’est elle qui ne marche pas comme il faut ! », cette phrase je l’ai entendue maintes et maintes fois. Pour essayer d’améliorer la marche, on m’a même fait inverser les chaussures : je devais porter la chaussure gauche au pied droit, celle de droite au pied gauche ! Vers l’âge de trois ans, mes hanches sont devenues douloureuses. Mes parents ont décidé de demander l’avis de spécialistes. Vivant alors dans le Grand Nord canadien, nous avions fait vingt-quatre heures de route, tout ça pour s’entendre dire au bout de cinq minutes de consultation :
— Oh non, il n’y a absolument aucun problème. C’est votre fille qui grandit trop vite, voilà tout !
Vingt-quatre heures de route pour seulement cinq minutes de consultation…
Les années sont passées. Les pieds toujours déformés, je perdais l’équilibre et je chutais toujours aussi fréquemment. Inutile de préciser que le sport, c’était difficile pour moi. Jeune, je ne pouvais vraiment pas faire grand-chose : la gymnastique, le patinage, le ski, le roller, et même le vélo à l’époque, c’était trop dur. Je me souviens qu’à l’école, les professeurs se contentaient de me mettre des zéros. C’était comme ça, et c’était bien dommage. Je faisais toujours en sorte d’esquiver les tests de course à pied, notamment le test Cooper : moi qui avais déjà des difficultés à marcher, il fallait imaginer ce que pouvaient donner douze minutes durant lesquelles j’étais censée parcourir la plus longue distance, en allant de plus en plus vite ! Et moi qui me débrouillais bien en natation, j’avais même demandé à mon professeur s’il était possible de faire un test de douze minutes en natation plutôt qu’en course à pied. Bien évidemment, ce n’était pas possible. Aucun de mes professeurs durant toute ma scolarité n’est venu m’en parler, personne ne m’a demandé pourquoi je courais mal, pourquoi je ne pouvais pas sauter. J’étais là, c’est tout. Personne ne semblait se poser de questions.
[...]
La goutte de trop
Un jour, vers l’âge de quarante-huit ans, il y eut comme un déclic. J’étais en randonnée et comme des milliers d’autres fois, j’ai chuté, sans aucune raison. Comme des milliers d’autres fois, je me suis retrouvée par terre, allongée sur le dos, dans la forêt, mon bâton de marche cassé. Je me suis mise en colère. « Maintenant, ça suffit ! J’ai quelque chose, il faut trouver ce que j’ai ! »
Je me suis alors orientée vers le podologue de ma fille, qui elle était déjà suivie à cause de ses pieds plats et de sa marche sur la pointe des pieds. Il m’a fabriqué des semelles qui ont eu le mérite de faire disparaître le claquement de mes hanches. Il m’a également conseillé d’aller courir un peu, du moins d’essayer. Je ne l’avais bien entendu jamais fait de ma vie. J’ai tout de même suivi ses conseils. J’ai commencé tout doucement, à sept kilomètres par heure, pas plus, et avec une démarche quelque peu spéciale : le steppage, un pied droit qui a une forte tendance à accrocher le bitume, les genoux que je montais bien haut… Je tombais toujours fréquemment, mais qu’importe, j’ai continué à courir. Mon mari, très sportif, acceptait de m’accompagner.
Malheureusement, les années passant, ma foulée s’est dégradée et mon allure aujourd’hui est plus proche des cinq kilomètres par heure. La plupart des gens peuvent marcher plus vite que je ne cours ! Je m’en fiche, cela me maintient en forme et me permet d’avancer, à ma manière. Alors j’ai continué à courir.
Les prémices de mon défi
Je dirais que mes idées de défis sportifs sont apparues lors de ma rééducation chez le kiné. Je m’étais fracturé la malléole et j’avais également des problèmes à l’épaule. Durant cette longue période de convalescence, j’alternais entre des séances à la piscine et des séances de course à pied sur le tapis, chez le kiné. Celui-ci observait ma foulée et me disait :
— Je pense que si vous arrêtez de courir un jour, le risque est que vous perdiez tout.
Ça, je le pensais aussi. Tout comme je savais que pour continuer à courir, maintenir une forme de motivation, il me fallait trouver quelque chose, un objectif, un rêve. Il était tout trouvé : je me voyais bien faire du triathlon. En effet, cette discipline est composée de sports « porteurs » : mis à part la course à pied (ou la marche), nous sommes portés par l’eau ou par le vélo. Je trouvais que c’était donc un défi plutôt adapté à mes difficultés. Alors pourquoi pas un Iron Man ? Bien entendu, je savais qu’un tel défi ne se réalisait pas du jour au lendemain. Je devais suivre, comme tout triathlète, un entrainement sérieux, spécifique, et bien entendu adapté à mes capacités. J’ai alors mis en place un programme sportif qui fixait les objectifs à atteindre pour les quatre années à venir, jusqu’à mes soixante ans, où mon but était de réaliser les distances de l’Iron Man, c’est-à-dire : 3,8 kilomètres de natation, 180 kilomètres de vélo, et 42 kilomètres de course à pied. Avant d’en arriver là, je m’étais fixé d’autres défis dont la distance augmentait chaque fois. J’ai donc commencé par un Triathlon S (750 mètres de natation, 25 kilomètres de vélo et 5 de course à pied), suivi d’un Triathlon format M, avec 1,5 kilomètre de nage, 40 de vélo et 10 de course. Tous se sont bien passés et j’ai poursuivi avec un Half Iron Man. Distances à parcourir : 1,9 kilomètre de natation, 90 de vélo et 21,1 kilomètres de course à pied. Objectif atteint !
Préparation du Triathlon XL
Autre étape plusieurs mois après : le Triathlon que j’ai réalisé le 25 mai 2024. J’ai décidé d’organiser ce challenge non loin de mon domicile, à Frazé, dans l’Eure-et-Loir. Il ne s’agissait pas d’une course déjà existante dans laquelle plusieurs concurrents participaient, mais mon Triathlon à moi, où j’étais à la fois organisatrice et seule participante. L’objectif était pour moi de réaliser les distances d’un Triathlon XL, c’est-à-dire 4 kilomètres de natation, 120 de vélo et 30 de course à pied.
Cela a nécessité en tout et pour tout trente semaines de préparation. J’ai suivi le programme d’un américain, très bien fait, qui inclut d’abord une phase d’entretien de plusieurs mois avant d’entamer la phase d’entrainement. Je suis ainsi passée progressivement de quatre heures de sport par semaine à une douzaine d’heures vers la fin du programme.
Je suis factrice — d’ailleurs, bien que très fatigant, je suis certaine que mon travail m’aide à me maintenir en forme —. Je travaillais déjà à 70 % et mon temps partiel s’organisait comme suit : trois semaines de travail et une semaine de repos. J’ai ainsi pu m’organiser et prendre le temps nécessaire pour m’entrainer. C’est durant ces semaines de repos que j’effectuais le plus gros de ma préparation. Mon mari au départ avait du mal à comprendre ma démarche, toutes ces heures d’entrainement. Mais il m’accompagnait pour courir. Il m’a aussi acheté un tapis de course. Je n’avais donc plus ce souci de chute sur le bitume, je pouvais m’entrainer seule tout en étant en sécurité. C’est lui qui cuisinait le soir la plupart du temps, pour me laisser davantage de temps.
Cette préparation a aussi connu quelques évolutions par rapport aux années précédentes. En effet, la maladie évoluant, mon équilibre s’est dégradé. Par exemple, je ne pouvais plus sortir de la piscine toute seule. Et si une fois sur le vélo tout se passait bien, je ne pouvais ni en descendre ni monter dessus seule. Vous vous doutez bien que pour un Triathlon, cela pouvait poser problème. Mais ce n’était pas grave, il a juste fallu s’adapter, et surtout, le jour J, j’ai pu compter sur l’aide et le soutien de nombreux proches — amis, famille —. Un vrai travail d’équipe !
Un nom sur nos difficultés
Deux ou trois mois avant le jour de ce challenge, j’apprenais l’existence de la maladie de Charcot-Marie-Tooth. Ma fille, alors âgée d’une trentaine d’années, commençait à avoir des difficultés depuis quelque temps et nous nous posions des questions. On pensait alors à un syndrome du canal carpien, elle a souhaité consulter un neurologue. À l’issue de cette consultation, on a dirigé ma fille vers un autre spécialiste, car pour eux, il ne s’agissait aucunement d’un syndrome du canal carpien. Des tests ont été effectués et il a fallu attendre six mois avant d’obtenir les résultats : elle avait une maladie neurodégénérative. Nous y sommes retournées ensuite pour une autre consultation, et le spécialiste m’a affirmé en me voyant arriver :
- Madame, vous avez la même démarche que votre fille.
Ce fameux steppage… Cela fait donc quatre mois que nous avons enfin pu mettre un nom sur nos difficultés, ma fille et moi : c’est la CMT1A.
Aussitôt le diagnostic posé, je me suis beaucoup renseignée et j’ai découvert l’association CMT-France. Comme tous les porteurs de CMT, j’espérais qu’un traitement verrait le jour, pour ma fille, pour les plus jeunes. Alors, pour apporter ma petite contribution à la recherche, j’ai décidé d’organiser une cagnotte à l’occasion de mon Triathlon dans le but de reverser les fonds à CMT-France. En plus d’un article dans le journal à ce sujet, j’ai fait connaître cette cagnotte sur les réseaux, essentiellement via Facebook, mais aussi par le bouche-à-oreille. Ayant des amis un peu partout dans le monde, les dons sont venus de cinq pays différents.
Un merveilleux souvenir
Quand j’y repense, je suis toujours sur mon petit nuage ! C’était génial, merveilleux, de A à Z. Je me souviens que depuis des semaines il ne faisait que pleuvoir, mais ce jour-là, le soleil était au rendez-vous ! Très entourée, je ne pouvais que me sentir bien. J’ai entamé ce Triathlon par l’épreuve de natation, à la piscine municipale où j’avais pour habitude de m’entrainer. Spécialement pour l’occasion, ils ont ouvert plus tôt ce jour-là afin que je puisse réaliser mon épreuve dans de bonnes conditions. Accompagnée d’une copine qui nageait avec moi, j’ai mis deux heures à parcourir ces 4 kilomètres. Comme lors de mes entrainements, c’est le maître-nageur qui m’a aidée à sortir de l’eau à la fin.
Ensuite ont suivi les 120 kilomètres de vélo. Des amis roulaient à mes côtés avec musique et bonne humeur. Ils m’ont aidée à monter et descendre du vélo lors des trois pauses que l’on a faites, ils s’occupaient de mon ravitaillement et de la sécurité. J’ai été très bien accompagnée ! C’était vraiment super ! Huit heures plus tard et après un parcours de plusieurs boucles, j’arrivais chez moi d’où partait l’épreuve de course à pied. Ici, quelques autres personnes m’ont aussi tenu compagnie. Cette partie a été plus difficile, d’autant plus qu’une grosse douleur est apparue dans mon genou gauche. Vers minuit, j’ai pris la décision de m’arrêter là. J’ai effectué les vingt kilomètres restants le samedi suivant, en marchant. J’ai donc coupé cette épreuve de course à pied en deux, afin de ne pas me blesser. Je ne suis pas peu fière d’avoir réalisé ce défi, mais aussi qu’il ait permis de récolter 2700 euros pour l’association.
Aujourd’hui
La date de l’Iron Man approche à grands pas. J’ai conscience des difficultés qu’un tel challenge représente, mais je sais aussi que je vais le terminer en prenant le temps qu’il faut : doucement, mais sûrement ! Pas de doute ! J’ai pris goût aux défis, mon mari me demande déjà :
— Mais Lisa, tu vas faire quoi pour tes 61 ans ?
Les neurologue, kiné, ostéopathe, chiropraticien et podologue qui me suivent m’encouragent dans ma démarche. Aujourd’hui, je ne me vois pas m’arrêter de faire du sport. Si j’arrête, je perds tout. Avant même d’apprendre que j’avais la maladie de Charcot-Marie-Tooth, je savais déjà que le sport m’était nécessaire. Je suis grand-mère. Ma petite fille, c’est ma petite merveille. Et je veux être cette mamie qui peut continuer à s’occuper de ses petits-enfants et faire des choses avec eux. Cela passe par l’entretien, l’activité physique.