Il s'appelle Eric
Une enfance privée de sport
Le sport n’a fait partie de ma vie que très tardivement, à l’âge de quarante-quatre ans. Du fait de mes difficultés durant l’enfance et l’adolescence, je m’étais toujours senti mauvais, pas vraiment adroit. A l’école, l’activité physique ne m’apportait rien, si ce n’est des mauvaises notes. Il faut dire qu’à l’époque, les professeurs n’étaient ni formés ni préparés pour travailler avec des élèves comme moi. Être mis de côté était alors monnaie courante, personne ne comprenait qu’il fallait peut-être voir les choses différemment : adapter certaines pratiques aurait pu m’aider, je pense, à trouver la motivation.
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Quand la maladie nous rattrappe
Quarante-quatre ans : c’est l’âge auquel la maladie a décidé de me rattraper. Celle-ci a évolué de manière si soudaine, si forte, que je ne voyais pas d’autre finalité que le fauteuil roulant. Le moment était venu d’essayer de nouvelles choses, le moment était venu de me dépasser. Je me souviens de l’élément déclencheur de tout cela : j’étais tombé sur des reportages et interviews de coureurs de trail qui racontaient leur parcours. Ils traversaient des montagnes, ils se mettaient réellement dans le rouge. Voilà ce que je souhaitais faire : je voulais vivre ce type d’aventures, connaître ce sentiment de flirter avec ses limites et éprouver le dépassement de soi. Je ne savais pas alors que cette décision allait considérablement changer ma vie.
Traverser la France à vélo
Mon projet de traverser le pays pour rejoindre Hendaye se dessinait petit à petit. Objectif : réaliser un vrai challenge, quitte à ce qu’on me ramasse à la petite cuillère ! Mais pas que : outre cette volonté de me dépasser, je souhaitais profiter de mon voyage pour collecter une somme d’argent au profit d’enfants en situation de handicap et pour intervenir dans différents lieux ( établissements scolaires, notamment ) afin de sensibiliser au handicap.
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Les jeunes ne devraient plus être limités dans l’accès au sport du fait de leur handicap ou maladie. Mes voyages s’inscrivaient désormais dans une volonté de prouver qu’avec le handicap, nous pouvons tout faire. Et c’est en traversant la France à vélo que j’ai souhaité partager ce message.
Le départ a eu lieu dans un collège de Brezolles, en Eure-et-Loir, au milieu des banderoles confectionnées par les élèves. Amis et collègues étaient également présents. L’émotion était palpable, mais je n’avais qu’une hâte : partir ! Dix-sept jours plus tard, je franchissais le pont qui sépare la France de l'Espagne : ma destination finale. J’ai accumulé durant ce périple 1 340 kilomètres et réalisé six interventions en milieu scolaire. Et surtout, surtout, j’ai vécu une aventure incroyable rythmée par des rencontres extraordinaires. Ce qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, ce sont les interventions qui ont été extrêmement riches en termes de partage, d’humanité et d’émotion.
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Nous nous sommes installés dans un auditorium dans lequel il s’est avéré que le micro ne fonctionnait pas, il nous fallait nous rendre dans une autre salle du lycée. Je me retrouvais alors seul parmi la foule, me sentant tout petit au milieu de ces élèves grands et costauds. Et j'appréhendais : comment cette intervention allait-elle se dérouler ? Face à tous et micro en main, j’ai commencé à prendre la parole. Moi qui privilégiais l’échange, ici, pas un bruit, personne ne réagissait. C’était une situation très inconfortable pour moi. J’ai alors eu une idée :
— Je pense que si quelqu’un doit être gêné ici, c’est plutôt moi : je suis en situation de handicap. Regardez mes jambes, elles sont complètement bizarres. Vous avez vu comment je marche ! Vous voyez mes difficultés ? Pourtant, je n’ai aucune gêne à être face à vous aujourd’hui et à répondre à vos questions. Donc ce que je vous propose de faire, c’est de tous ressortir de cette salle, de laisser notre gêne à la porte, et de revenir. Et ensuite pendant une heure, on se dira les choses, sans prêter attention à ce que peut penser son voisin.
C'est parti pour les 24h du Mans !
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Ce n’est que le mental qui m’a fait tenir, j’ai profité de chaque pause pour reprendre des forces, aidé et guidé par les mots de mes assistants. Les coureurs inscrits en solitaire étaient peu nombreux et nous nous étions organisés avec quelques-uns pour effectuer le dernier tour ensemble. En franchissant la ligne d’arrivée, j’ai ressenti la même chose qu’à mon arrivée à Hendaye, c’est-à-dire pas grand-chose. En revanche, en rejoignant mon box où se trouvaient mes assistants et mes deux filles, l’émotion m’a submergé et je ne contrôlais alors plus rien. L’un de mes assistants s’est approché et m’a murmuré :
—Ça y est, tu as vécu ce qu’il fallait vivre.
Et je ne compte pas m’arrêter là…
Je n'en veux plus à la terre entière
Aujourd’hui, je m’en rends compte : tout ce sport, ces voyages à vélo, sont aussi une façon pour moi de montrer aux autres ce dont je suis capable, de faire un immense bras d’honneur à ceux qui, à l’époque, ne croyaient pas en moi. Je parle des encadrants, des professeurs de sport, mais aussi les camarades d’école qui me délaissaient. Je leur montre, sans rancœur, car cela n’est pas de leur faute, qu’ils se sont plantés, qu’en adaptant, on peut réaliser mille choses.
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Je me souviens d’une question en particulier qui m’a été posée lors d’une de mes interventions : « En veux-tu encore à la terre entière ? » Non, je n’en veux plus à la terre entière. J’ai passé un cap. Bien sûr, je ne peux pas dire que je suis content d’avoir cette maladie, mais elle m’a ouvert bien des portes. Ce que j’en retire aujourd’hui c’est une force. Tout ce que j’ai accompli, les personnes que j’ai rencontrées, les expériences vécues, c’est grâce à cette maladie. Moi qui n’en parlais pas, qui me taisais, me cachais, me voilà à parcourir des kilomètres pour en parler devant des centaines de personnes — écoliers, jeunes, adultes, collègues — à dévoiler mes forces, mes faiblesses, mes défis, sur les réseaux et dans les journaux. Le partage est ce qui me fait vibrer aujourd’hui, c’est ce qui m’anime.